Le village de bédouins de Makhoul dans la vallée du Jourdain s’est retrouvé sous le feu des projecteurs médiatiques il y a 15 jours. Pas pour son mode de vie particulier (organisé autour de l’élevage de chèvres) ni pour la beauté du site (perdu au milieu du désert de pierres). Non, Makhoul s’est fait connaître suite à l’accrochage qu’il y a eu entre une diplomate française et des soldats israéliens.
C’était le 20 septembre dernier.
Un convoi de diplomates et d’humanitaires se rend à Makhoul pour apporter à la centaine d’habitants de quoi se protéger du soleil (la journée) et du froid (la nuit). Dans le camion, il y a des matelas, des couvertures, des bâches, des ustensiles de cuisine. Car, quelques jours plus tôt, le village a été totalement détruit par l’arme israélienne pour construction illégale.
La suite a été filmée et a fait le tour du Minitel mondial : un convoi humanitaire stoppé par des soldats, une diplomate française qui refuse de désencadre du camion, des esprits qui s’échauffent, la diplomate française tirée hors du camion puis qui gifle un soldat.
Un événement qui provoque un incident diplomatique entre la France et Israël et qui vaut à Marion Castaing de mettre un terme à sa mission en Terre Sainte. Retour en France au mois de décembre.
Mais derrière cet incident diplomatique il y a surtout le sort du village de Makhoul. Un village qui sera (peut-être) bientôt rayé de la carte. Car le 28 août dernier, la Cour suprême israélienne a rejeté une pétition formulée par les habitants de Makhoul contre les avis de démolitions. Et impossible également de reconstruire : toutes les tentatives depuis le 16 septembre (date des démolitions) ont été stoppées par l’armée israélienne. Ce travailleur humanitaire était sur place lors de l’incident du 20 septembre :
« La 4e convention de Genève dit clairement qu’Israël, en tant que puissance occupante, doit subvenir aux besoins de la population occupée. Et si elle ne peut ou ne veut pas le faire, elle doit faciliter la distribution directe et rapide d’aide humanitaire. Dans ce cas-ci, non seulement Israël a créé le besoin de cette communauté mais il a en plus empêcher par la force, les personnels de l’ONU, des diplomates européennes et internationaux, des travailleurs humanitaires de venir au secours d’une communauté qui en a urgemment besoin. Notamment en termes d’abri et d’eau. Et ce n’est malheureusement pas la première fois. Les personnels humanitaires dans les territoires palestiniens font de plus en plus face à ce genre de problèmes, leurs cargaisons d’aides sont confisquées. Et cela pose vraiment la question de l’avenir de la distribution de l’aide humanitaire dans les Territoires palestiniens ».
Mais finalement qui s’inquiète du droit humanitaire international ?
Pas le gouvernement israélien, en tout cas, qui se retranche derrière sa loi. La loi de l’occupation. Les habitants ont construit sans permis de construire, c’est illégal, donc les constructions doivent être détruites.
Logique implacable.
Mais encore faudrait-il que les Palestiniens qui habitent en zone C, cette zone sous contrôle de l’armée israélienne et qui représente 60% de la Cisjordanie, puissent obtenir ces permis de construire. Charles est le directeur d’une ONG basée à Jérusalem-Est.
« Même pour construire des toilettes en zone C, vous devez demander un permis à l’administration civile israélienne. Et ces permis sont très difficiles à obtenir quand vous êtes Palestinien. En fait, 95% des demandes de permis sont rejetées. Et on parle de permis de construire pour des infrastructures de base comme des latrines, pour creuser un puits, installer une citerne ou construire une école. Toutes ces structures nécessitent des permis mais dans les faits, ils ne sont jamais accordés ».
Voilà donc pourquoi, il y a 40 ans, ces familles de Jénine se sont installées à Makhoul sans permis. Aujourd’hui, il y une petite centaine de personnes, dont une vingtaine d’enfants. Cette femme habite à Makhoul depuis le début.
« C’est la première fois qu’on fait face à des démolitions. En 40 ans ici ! Je ne comprends pas pourquoi on s’en prend à nous aujourd’hui. On ne sait pas quoi faire… On n’a plus de maisons, plus d’abri pour les animaux. Depuis mi-septembre, on dort dehors. Nous les adultes, on s’adapte mais les enfants ?? Et avec l’hiver qui arrive et ne sait vraiment pas ce qu’on va faire. Mais moi je ne bouge pas ! ils peuvent venir détruire autant qu’ils veulent, je reste ici. »
Pour les soutenir, on remarque la présence discrète des hommes de l’Autorité palestinienne, qui n’ont pas juridiction en zone C. Ahmed Al Asaad est le vice-gouverneur de Tubas, dans le nord de la Cisjordanie.
« Le gouvernorat de Tubas s’étale sur 400km2, et 70% est sous contrôle israélien. Les Israéliens veulent évacuer cette terre de tous les Palestiniens. C’est clair. Mais nous voulons rester et nous resterons. On se bat, on résiste.
Makhoul n’est que la petite histoire dans la grande. Les Israéliens nous pressurisent pour qu’on quitte nos terres. La situation en général est très mauvaise. Mais on reste déterminé. Où voulez-vous qu’on aille ? En enfer ?
Bien sûr, en tant qu’Autorité palestinienne nous ne pouvons pas faire grand chose en zone C. Mais on vient ici pour soutenir les habitants. C’est symbolique! Nous ne pouvons pas utiliser la force mais nous sommes déterminés et c’est important »
La « grande histoire » dont parle Ahmed Al-Assad c’est celle de la situation des Palestiniens qui vivent dans la Vallée du Jourdain. Selon les Nations Unies, ils étaient entre 200.000 et 320.000 avant 1967. Mais face aux restrictions et aux démolitions imposées par Israël en zone C, ils ne sont plus que 56 000 aujourd’hui.
Le nombre de colons israéliens en zone C, lui, est passé de 1.200 à 310.000.
Aujourd’hui, moins de 1% de la zone C est réservée pour le développement de la population palestinienne. Et selon l’association israélienne B’Tselem, 315 maisons ou abris ou été démolis par Israël entre 2006 et avril 2013 dans la Vallée du Jourdain. A cela s’ajoute, des conditions de vie rudimentaires. Les communautés de la Vallée du Jourdain n’ont le plus souvent pas accès à l’eau. Elles récupèrent l’eau de pluie ou l’achètent à des sociétés privées à des prix très élevés.
Résultat, ces communautés ont à disposition environ 20 litres d’eau par jour et par personne, loin des recommandations de l’OMS à 100 litres par jour et par personne.
Pour en revenir au sort des habitants de Makhoul. Human Rights Watch rappelle que le transfert forcé des populations dans un territoire occupé est un crime au regard du droit international.